samedi 29 mai 2010

Hymne à la musique.


Roman Polanski. Grand nom qui résonne depuis quelques mois dans l'actu. Ce réalisateur qui aurait abusé d'une mineure il y a de ça des années, va être jugé. Mais à côté des chemins qu'il a emprunté dans sa vie, il reste aux yeux de beaucoup, l'un des meilleurs réalisateurs de ce siècle. Alors que Berlin lui offre un Ours d'Argent pour son dernier film, The Ghost Writer, j'ai voulu redécouvrir sa palme d'or cannoise, Le Pianiste. De nombreux collègues s'insurgent de sa possible peine, d'autres l'insultent tout court. Alors, autant le juger sur ce qui nous touche, sur son cinéma. Rétrospective 2002.

Pologne, pendant la seconde guerre mondiale. Un musicien juif, Szpilman, reconnu pour son art est heureux. Il vit correctement, avec sa famille, dans un quartier de Varsovie. La rencontre d'une belle blonde renforce son sentiment d'espoir amoureux. Tout va bien. Accord parfait. Jusqu'à l'arrivée de la guerre. Les nazis s'emparent du pays. Allégro, les faits s'enchaînent. La liberté des juifs est de plus en plus restreinte jusqu'à l'anéantissement. Effectivement, on pourrait croire encore à un film parmi des dizaines d'autres. Un de ces films qui traite des camps, des juifs, des nazis. Mais le refrain du pianiste est différent. Le tempo vibre d'une manière à la fois bouleversante et empli d'espoir. Le chef d'orchestre Polanski dirige un ballet d'acteurs talentueux. Adrien Brody symbolise la parabole de l'homme juif: l'homme qui lutte à cause de ses racines. A la fois crooner d'exception et martyre parmi des milliers, il endosse le costume de la douleur mais aussi de l'espoir. Une gamme de sentiments qui va crescendo devant un personnage révélant le malaise de tout un peuple. Un concert subtile où le spectateur est troublé. Le rythme est lent, certes. Mais il semble que 2H30 n' était pas de trop pour entrer dans les véritables sentiments de ce peuple. Puis un rythme angoissant qui réveille la cruauté et le nihilisme des nazis. Vives trémolos, Polanski réussit à plonger les spectateurs, à l'unisson, dans le pathos. On a la haine face à cette injustice raciale. Or, une nuance vient clairsemer les notes de cette partition sombre. Une nuance allemande se joue en sourdine dans l'histoire. Et l'on se rencontre que le point d'orgue de l'espoir et de la liberté, c'est la musique. Leitmotiv du film, la ballade de Chopin résonne comme la grand-messe. Ce film est un éloge à la beauté musicale, à la passion qu'elle dégage et à l'espoir qu'elle délivre. La vie est synonyme de musique. La musique délivre l'homme. Une ballade sur un clavier peut changer le destin d'un homme. Bon, oui, seul bémol, il a eu de la chance. Ce qui n'est pas le cas de milliers d'autres qui ont péri. Malgré ça, Polanski affronte avec succès son passé. Il réalise ici l'une des plus belles mélodies d'une Histoire honteuse. Il prouve sa capacité de réalisateur d'exception.

Orientalement shakespearien?


Malheureusement je n'ai pas senti l'odeur des épices. Je n'ai pas vu les paysages des mille et une nuit. Et je n'ai pas entendu les chansons claironnées par les habitants ensorcelés. Mais c'était encore mieux que tout cela. Karen Yedaya m'a plongé dans une ville qui embaume bien d'autres odeurs. Jaffa est un drame. Une histoire qui a un goût amer. Celle d'une passion déchirée et déchirante.

Pourtant, l'incipit est pour le moins banale. Un garage. Odeur de suif, de mains sales, et de voitures. Le début commence mal. Moi qui m'attends à une histoire à l'eau de rose, je me retrouve spectatrice de trois hommes en train de "ramoner" des voitures. Les critiques sont plutôt bonnes alors je continue. Mon regard ne s'affaisse pas. Je suis concentrée.
Deux hommes sont palestiniens : Hassan le père et Toufik le fils. Employés par Reuven, ils travaillent sans repos. Des "gens honnêtes" en somme. Reuven a deux enfants : Meir, le jeune homme irrespectueux, colérique et raciste et Mila, la timide obéissante fille. Jusque là, rien de bien exaltant.
Au fil de l'histoire, on découvre que Mila et Toufik s'aiment depuis toujours. Mais en secret. Début de grossesse pour Mila, ils décident de partir. Pour se marier. Bon, là, j'entends déjà, c'est tellement vu et revu.. Et c'est là où tout s'enchaîne. Ou ça en jette. Grosse bagarre entre l'insupportable frère Meir et l'honnête amoureux Toufik. Un crachat, des coups de poings envers Toufik, Meir se retrouve rapidement par terre. Il se cogne violemment. Toufik l'a tué. Homicide involontaire. Prison pour 10 ans. Scénario catastrophe, mes sentiments changent du tout au tout à ce moment. Le gentil - plutôt beau garçon en plus- devient le méchant. Saloperie de monde manichéen me direz vous.. Que va faire Mila? Ou plutôt que doit-elle faire? Garder l'enfant de son alter ego mais qui a tué son frère? Ou avorter, l'oublier et respecter son défunt frère qu'elle ne supportait pas? Et vous, qu'auriez-vous fait? La réalisatrice tisse le portrait d'une femme qui choisit. Choisit de dire. Ou de mentir. Et c'est là où une ovation est à faire au film car quoiqu'elle choisisse, on est d'accord avec elle.
Au delà du prisme politico-raciale, Jaffa est un drame où s'entremêle des tensions secrètes et étouffées. Le spectateur se pose la question de la morale: et moi, qu'aurais-je fait à leur place? Un tableau familial où les personnes ne se parlent pas, ne s'écoutent pas, enterrent des émotions si fortes que nos yeux arrivent à humer l'odeur de la fin : la putréfaction. Ou pas. Dérangeant tout en transpirant d'amour, ce long-métrage encre une nouvelle fois le cinéma israélien dans l'histoire. Une Juliette israélienne et un Roméo palestinien, voilà une recette à la fois moderne et aussi ancienne que la nuit des temps. Jaffa, ville de la "fiancée de la mer", pue la mort et l'amour. Deux sentiments où les cœurs baignent dans douleur, sacrifice et espoir. A voir.